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mercredi 4 mai 2016

La bohème



Beaucoup sont surpris quand ils apprennent que les paroles de La bohème n’ont pas été écrites par Aznavour, tellement cette écriture lui ressemble et semble autobiographique. 
Le texte est signé Jacques Plante (Paris 1920 / Paris juillet 2003). L'homme a écrit des textes pour Aznavour : Les comédiens, For me formidable, et pour d’autres Les grands boulevards, Étoile des neiges, Santiano, Dès que le printemps revient, J’entends siffler le train, Un Mexicain, Chariot, Vieille canaille.
La chanson est interprétée d’abord par George Guétary dans Monsieur Carnaval, opérette en 2 actes et 22 tableaux créée au théâtre du Châtelet en 1965, livret de Frédéric Dard (le père de San Antonio), textes de Jacques Plante, musique de Charles Aznavour.
Le personnage principal décrit à la première personne sa vie de jeune artiste avec des mots simples, sans métaphore : Devant mon chevalet, Groupés autour du poêle, Devant un café crème, En haut d’un escalier. 
La rime est solide, précise, à peine forcée au début du deuxième couplet : voisins / quelques-uns. Les vers des couplets sont de 6 syllabes, ceux du refrain de 8 syllabes. Le titre est martelé 16 fois. 4 fois par refrain dont le texte n’est pas toujours le même (ce qui est fortement déconseillé aux débutants). 
1 / Ça voulait dire on est heureux / Nous ne mangions qu’un jour sur deux.
2 / Ça voulait dire tu es jolie / Et nous avions tous du génie. Etc.

La bohème
1966 Jacques Plante (Editions Musicales Djanik)

Je vous parle d’un temps / Que les moins de vingt ans / Ne peuvent pas connaître / Montmartre en ce temps-là / Accrochait ses lilas / Jusque sous nos fenêtres / Et si l’humble garni / Qui nous servait de nid / Ne payait pas de mine / C’est là qu’on s’est connu / Moi qui criait famine / Et toi qui posais nue
La bohème, la bohème / Ça voulait dire on est heureux / La bohème, la bohème / Nous ne mangions qu’un jour sur deux

Dans les cafés voisins / Nous étions quelques-uns / Qui attendions la gloire / Et bien que miséreux
Avec le ventre creux / Nous ne cessions d’y croire / Et quand quelque bistro / Contre un bon repas chaud / Nous prenait une toile / Nous récitions des vers / Groupés autour du poêle / En oubliant l’hiver
La bohème, la bohème / Ça voulait dire tu es jolie / La bohème, la bohème / Et nous avions tous du génie

Souvent il m’arrivait / Devant mon chevalet / De passer des nuits blanches / Retouchant le dessin
De la ligne d’un sein / Du galbe d’une hanche / Et ce n’est qu’au matin / Qu’on s’asseyait enfin / Devant un café crème / Epuisés mais ravis / Fallait-il que l’on s’aime / Et qu’on aime la vie
La bohème, la bohème / Ça voulait dire on a vingt ans / La bohème, la bohème / Et nous vivions de l’air du temps 

Quand au hasard des jours / Je m’en vais faire un tour / A mon ancienne adresse / Je ne reconnais plus : Ni les murs, ni les rues / Qui ont vu ma jeunesse : En haut d’un escalier : Je cherche l’atelier
Dont plus rien ne subsiste : Dans son nouveau décor : Montmartre semble triste : Et les lilas sont morts 
La bohème, la bohème / On était jeunes, on était fous : La bohème, la bohème / Ça ne veut plus rien dire du tout

Charles Aznavour (Paris 22 mai 1924)
Shahnourh Varinag Aznavourian naît à St-Germain des Près alors que ses parents attendent un visa pour les Etats-Unis. Il grandit parmi les artistes qui fréquentent le restaurant paternel de la rue de la Huchette et à neuf ans entre à l’école du Spectacle.

Sa carrière démarre avec le duo Roche et Aznavour quand en 1946, il est remarqué par Édith Piaf. Il compose pour elle (Jezebel), pour Mistinguett, Patachou, Juliette Gréco (Je hais les dimanches), mais il devra attendre le 12 décembre 1960 pour connaître la consécration à l’Alhambra. Lui qui aime le bon vin et les Rolls, lui, l’enroué vers l’or à qui un critique parisien a écrit Vous feriez mieux de faire de la comptabilité, vous pourriez chanter en comptant, mais ne comptez pas chanter, a composé plus de mille chansons, vendu plus de cent millions de disques dans le monde, chanté dans cinq langues, joué dans plus de soixante films au cours de plus de soixante ans de carrière, dont en 1960 Tirez sur le pianiste de François Truffaut). Ambassadeur d’Arménie en Suisse, représentant permanent auprès de l’ONU, propriétaire depuis 1995 des éditions musicales Raoul Breton, Charles Aznavour est aujourd’hui le chanteur français le plus connu à travers le monde.

mardi 3 mai 2016

La javanaise



Serge Gainsbourg est venu me voir, nous avons dîné ensemble et le surlendemain, il m’apportait «La Javanaise». Juliette Gréco. Nous sommes en été 1962, à l’époque Gainsbourg se bat pour gagner sa vie mais son succès ne dépasse pas un petit cercle de branchés. Le 5 janvier 1963 il enregistre à Londres quatre titres, parmi lesquels La javanaise. Pas de succès à la sortie du titre en 1963, ni pour Greco ni pour Gainsbourg. Aujourd’hui elle est la chanson de Gainsbourg qui rapporte le plus de droits d’auteur.

Sur un tempo de valse, le personnage principal s’adresse à un ancien amour, évoque leur histoire symbolisée par une danse, la javanaise. Tout est élégant : le vouvoiement, les expressions : Ne vous déplaise / de vous a moi. Les allitérations en V des couplets, exemplaires : AVant d’aVoir eu Vent de Vous. (Dans le javanais, l’argot des voyous, on répète les J, V, N). Le titre pourrait être un hommage à Boris Vian, que Gainsbourg adore, qui a écrit la Java javanaise.
Pas encore de références anglo-saxonnes dans les paroles, ni de voix plus parlée que chantée, façon Gainsbarre.
Les rimes sont impeccables, précises, strictes, classiques. Les e sont accentués à la rime : Ne vous déplai-SE. La métrique irrégulière montre que les paroles ont été écrites après la musique : Couplet 8 + 3 + 8 + 3 syllabes. Refrain 5 + 8 + 4 + 6 syllabes. Le titre est cité quatre fois (une fois par refrain). La chanson est courte, 2mn26, mais le texte laisse toute sa place à la suggestion.
1962 Serge Gainsbourg (Ed. Warner Chapell)
J’avoue j’en ai bavé pas vous mon amour / Avant d’avoir eu vent de vous mon amour / Ne vous déplaise / En dansant la Javanaise / Nous nous aimions / Le temps d’une chanson

À votre avis qu’avons-nous vu de l’amour ? / De vous à moi vous m’avez eu mon amour / Ne vous déplaise / En dansant la Javanaise / Nous nous aimions / Le temps d’une chanson

Hélas avril en vain me voue à l’amour / J’avais envie de voir en vous cet amour / Ne vous déplaise
En dansant la Javanaise / Nous nous aimions / Le temps d’une chanson

La vie ne vaut d’être vécue sans amour / Mais c’est vous qui l’avez voulu mon amour / Ne vous déplaise / En dansant la Javanaise / Nous nous aimions / Le temps d’une chanson

Serge Gainsbourg (Paris 2 avril 1928 - Paris 2 mars 1991)
Il semblerait que les chanteurs n’aiment pas le prénom Lucien. Le vrai nom de Serge Gainsbourg est Lucien Ginzburg et Lucien est aussi le vrai prénom de Laurent Voulzy. Lucien donc, a souffert d’avoir été un enfant juif pendant la guerre, souffert aussi de se trouver laid. Fils de musicien (comme Nougaro et Piaf, fils de chanteur, de chanteuse), son père lui a enseigné le métier de pianiste de bar. Musique classique, jazz, chanson, Gainsbourg sait tout jouer.
Les débuts sont difficiles. Même La Ballade de Melody Nelson, aujourd’hui disque culte, se vend peu et Gainsbourg arrête la scène en février 1965, lassé de l’indifférence du public. Son absence des planches durera 14 ans !
Il reprend confiance avec le succès qui vient peu à peu. D’abord celui des artistes qui l’interprètent, telle France Gall qui gagne l’Eurovision en 65 avec Poupée de cire poupée de son.
Persuadé qu’il ne peut pas se permettre de laisser indifférent, le chanteur, réalisateur, mais aussi photographe, peintre, écrivain, aura usé de nombreuses provocations, plus ou moins féroces. Depuis le slogan de l’affiche de son spectacle au Casino de Paris : 140 francs devant, 110 francs derrière, à la crémation en direct à la télé d’un billet de 500 F ou aux insultes à Catherine Ringer, à Guy Béart… il alterne agressivité et paroles attendrissantes. De toutes façons, moi, j’ai pas d’idées, j’ai des associations de mots, comme les surréalistes. Une carence d’idées qui cache un vide absolu, un sous vide, c’est vrai !
Véritable usine à tubes, Gainsbourg écrit environ 650 paroles de chansons et presque autant de preuves qu’il est possible de concilier art et argent, passion et commerce.
Chacun de ses textes dégage une vraie musicalité et peut être lu seul. D’une grande culture artistique, l’homme ne se contente pas d’utiliser une technique impeccable, il déteste avoir la sensation de se répéter. Il risque, invente des mots (L’anamour), des sons, des formules, réussit des métissages musicaux avec le jazz, funk, reggae, afro-cubain, rap et meurt avant l’enregistrement prévu d’un nouvel album à La Nouvelle-Orléans avec les Neville Brothers.
Le 2 mars 199, il oublie (?) sa pilule pour le coeur, comme l’avait fait son idole Boris Vian le 23 Juin 1959.



lundi 2 mai 2016

La mer



J’ai écrit La mer à seize ans sous la forme d’un poème en alexandrins. Je l’ai retrouvée quelques années plus tard alors que j’étais devenu chansonnier. Un jour, entre Sète et Montpellier, dans le train, la musique m’est venue d’un seul coup. N’ayant pas de papier sur moi pour écrire, nous sommes allés chercher du papier toilette dans les WC du wagon ; par miracle, il y en avait.
Cette mélodie révélée à Trenet a "des airs" de  "Blue moon", énorme succès de l'époque. La musique est cosignée par Léo Chaulais, son secrétaire et pianiste qui juge ensuite la chanson trop solennelle et rococo. La vedette Suzy Solidor à qui il la propose la refuse, en disant : Des chansons sur la mer, on m’en envoie dix par jour
Fin 1945, Roland Gerbeau l’enregistre avec Renée Lebas. C'est sur l’insistance de son éditeur Raoul Breton, que Trenet finit par la sortir en 1946 et remporte alors un énorme succès. Sous la plume de Jack Lawrence La mer devient Beyond the sea, un classique du jazz, un standard. Longtemps générique de la télévision japonaise, la chanson connaît plus de quatre mille enregistrements à travers le monde.
Le texte de La mer est typiquement « Trenet ». Des mots doux, positifs, un lyrisme aérien où la bergère d’azur… confond ses blancs moutons / Avec les anges si purs. La simplicité, la clarté
guident déjà la plume du jeune auteur. Les paroles, courtes, sont reprises deux fois en entier. La mer est humanisée : La mer A bercé mon coeur pour la vie, et certains voient une connotation maternelle dans l’homonymie des mots mer et mère. 
La rime est précise sauf pour amour / coeur. Le titre apparaît 12 fois. Les 3 premiers vers des couplets sont réguliers, 6 syllabes, mais l’irrégularité des vers suivants semble avoir été dictée par la mélodie. La structure est de type «jazz». 

La mer
1945 Charles Trenet (Ed. Raoul Breton)
La mer / Qu’on voit danser le long des golfes clairs / A des reflets d’argent / La mer / Des reflets changeants / Sous la pluie
La mer / Au ciel d’été confond / Ses blancs moutons / Avec les anges si purs / La mer bergère d’azur / Infinie
Voyez / Près des étangs / Ces grands roseaux mouillés / Voyez / Ces oiseaux blancs / Et ces maisons rouillées
La mer / Les a bercés / Le long des golfes clairs §/ Et d’une chanson d’amour
La mer / A bercé mon coeur pour la vie.

Charles Trenet (Narbonne 18 mai 1913 - Créteil lundi 19 février 2001)
A 15 ans, Trenet le Narbonnais découvre son idole Gershwin à Berlin où il est parti habiter avec sa mère et son compagnon. La langue allemande lui est utile pendant l’occupation à Paris où les occupants sont nombreux dans le public. Mal vu à la fin de la guerre, Trenet est blanchi par la commission d’épuration mais les suspicions de collaboration persistent, il s’exile aux Etats-Unis où il triomphe mais est emprisonné pour homosexualité à Ellis Island aux Etats-Unis pendant 26 jours en 1948, époque du maccarthysme, avant de rentrer en 1954. Il fait également 28 jours de détention à Aix-en- Provence pendant l'été 1963 pour des attentats aux moeurs sur mineurs (âgés de 20 ans, à l’époque la majorité est à 21 ans) inculpation pour laquelle il obtient un non-lieu en appel. 
Je ne suis pas gai je suis joyeux. L’homme ne fera jamais son coming out mais il aime décocher quelques jeux de mots cachés comme Je t’attendrai à la porte du garage, pour je tâte André à la porte du garage.

Je fais des chansons comme un pommier fait des pommes disait le Roi Soleil de la chanson ainsi nommé par Henri Salvador, nommé passeur de rêve par Serge Gainsbourg. Il est l’idole
de Brassens, Aznavour, Higelin, Polnareff, Biolay, bref, de tout le bottin de la musique française.
Avant lui, très rares étaient les auteurs compositeurs interprètes. Depuis lui on a tendance à penser que l’interprète qui n’écrit pas ses textes en est moins intéressant.

Derrière l’étonnante unité des tonalités gaies et entraînantes de son oeuvre emplie d’énergie et de bonne humeur, l’on peut déceler ici et là chez le fou chantant des thèmes plus sombres. Je
chante raconte le suicide par pendaison d’un vagabond (Ficelle, tu m’as sauvé de la vie). Les penchants pour la nostalgie de l’homme aux boucles blondes et chapeau blanc qui collectionne
les voitures de sport ont donné des chefs d’oeuvre tels que Que reste t il de nos amour, devenu lui aussi classique du jazz (I wish you love) et utilisé par François Truffaut dans Baisers volés.
Charles Trenet a eu la tristesse de voir échouer sa candidature à l’Académie Française. Son ultime tour de chant a lieu à la salle Pleyel, en Novembre 1999. Il meurt en 2001 d’une seconde attaque
cérébrale laissant plus de 1000 chansons écrites durant 66 ans d’activité. 

dimanche 1 mai 2016

Les copains d’abord



La chanson Les copains d’abord naît d’une commande d’Yves Robert - ami de Brassens - pour le générique de son film Les Copains. 
Pour Brassens chaque chanson est une lettre à un ami, et ceux-ci, qui l’appellent « le gros », sont les mêmes depuis toujours. Il les retrouve régulièrement chez lui au moulin de La Bonde, à Crespières dans les Yvelines, ou à bord de son bateau (appelé Les copains d’abord) lors de sorties sur l’étang de Thau, ou de cabotages.
La chanson connaît un succès immédiat. Pourtant l’histoire de ces amis qui traversent la vie, tous embarqués sur le même bateau a un style imagé mais très classique, presque vieillot et très savant…Les phrases en latin Fluctuat nec mergitur, credo, confiteor, les références à la peinture de Géricault : Le radeau de la méduse, à la littérature : Montaigne et La Boétie, à la mythologie :Castor & Pollux, à la Bible : Jean, Pierre, Paul et compagnie (sans doute aussi ses proches Jean Bertola, Pierre Onténiente et Paul For), Sodome & Gomorrhe, L’Évangile, relient la chanson au monde de la poésie classique. 
Cette sophistication n’empêche pas ces images de faire mouche, tout autant que les tournures qui utilisent le langage populaire, C’étaient pas des anges… ils l’avaient pas lu, ou l’argot comme la mare des canards, ( la mer ou l'étang ). 
Avec Quand l’un d’entre eux manquait à bord / C’est qu’il était mort, Brassens semble rendre hommage à Marcel Pagnol et la réplique de César : si M. Brun n'a pas vu Landolfi à Paris : alors il est mort

3 vers de huit syllabes et un de 5 se succèdent avec une grande régularité sur une rime scrupuleuse. 
La structure est AAAA, 7 couplets, simple répétition de la même mélodie. 
On a souvent entendu dire que toutes les chansons de Brassens se ressemblent. Rien n’est plus faux. C’est l’accompagnement guitare voix, sobre, uniforme, qui leur confère cette couleur intemporelle qui est sa marque de fabrique, mais qui peut sembler monotone. En réalité, les mélodies du sétois sont riches et très prisées par les fanfares, à l’instar des copains d’abord, dont l’orchestration est plus étoffée ici que d’habitude chez Brassens. La mélodie joyeuse, originale, joue un rôle majeur dans le succès de cette grande chanson qui après deux séances d’enregistrement et 10 prises de voix a été accélérée au mixage.

Les copains d’abord
1964 George Brassens(Editions Musicales 57)
Non, ce n’était pas le radeau / De la Méduse, ce bateau / Qu’on se le dise au fond des ports
Dise au fond des ports / Il naviguait en père peinard / Sur la grand mare des canards / Et s’app’lait les Copains d’abord / Les Copains d’abord

Ses fluctuat nec mergitur / C’était pas d’ la littérature / N’en déplaise aux jeteurs de sort / Aux jeteurs de sort / Son capitaine et ses mat’lots / N’étaient pas des enfants d’ salauds / Mais des amis franco de port / Des copains d’abord

C’étaient pas des amis de luxe / Des petits Castor et Pollux / Des gens de Sodome et Gomorrhe
Sodome et Gomorrhe / C’étaient pas des amis choisis / Par Montaigne et La Boétie / Sur le ventre ils se tapaient fort  / Les copains d’abord

C’étaient pas des anges non plus / L’Évangile, ils l’avaient pas lu / Mais ils s’aimaient toutes voiles dehors / Toutes voiles dehors / Jean, Pierre, Paul et compagnie / C’était leur seule litanie / Leur credo, leur confiteor / Aux copains d’abord

Au moindre coup de Trafalgar / C’est l’amitié qui prenait l’ quart / C’est elle qui leur montrait le nord / Leur montrait le nord / Et quand ils étaient en détresse / Qu’ leurs bras lançaient des S.O.S. / On aurait dit des sémaphores / Les copains d’abord

Au rendez-vous des bons copains / Y avait pas souvent de lapins / Quand l’un d’entre eux manquait à bord / C’est qu’il était mort / Oui, mais jamais, au grand jamais / Son trou dans l’eau n’ se refermait / Cent ans après, coquin de sort / Il manquait encore

Des bateaux j’en ai pris beaucoup / Mais le seul qui ait tenu le coup / Qui n’ait jamais viré de bord
Mais viré de bord / Naviguait en père peinard / Sur la grand mare des canards / Et s’app’lait les Copains d’abord / Les Copains d’abord

George Brassens (Sète 22 octobre 1921 - Saint Gely du Fesc 29 octobre 1981)
Tout le monde chante à la maison des Brassens. La mère est napolitaine, très catholique et le père libre-penseur, entrepreneur de maçonnerie. Le professeur de français de Georges, Alphonse Bonnafé, alias « le boxeur » l’initie à la poésie. On était des brutes, on s’est mis à aimer les poètes. Brassens n’a pas de diplôme mais il acquiert une grande culture littéraire en se rendant tous les jours à la bibliothèque municipale du quartier. Il adore la poésie, lui qui a également une passion pour CharlesTrenet et Tino Rossi, et aime Joe Dassin, Claude François, Johnny Hallyday et le jazz.
A Paris ses amis le poussent à écrire ses premiers recueils de poésies. Quand Pierre Seghers lui consacrera un volume de sa prestigieuse collection « Poètes d’aujourd’hui », il continuera à dire Je ne pense pas être un poète…Un poète, ça vole quand même un peu plus haut que moi. Il dira aussi Pour reconnaître que l’on n’est pas intelligent, il faudrait l’être.

Et si Brassens n’avait pas rencontré Patachou ? C’est elle qui l’aide à percer. Sa discographie sera constituée de 196 chansons (douze albums), dont de nombreuses reprises de poètes. Beaucoup
de ses chansons seront traduites, dans une vingtaine de langues.
En 1947 Brassens rencontre la seule femme dans sa vie « Pupchen» Joha Heiman, une estonienne avec qui il ne partagera pas le toit, et à qui il écrira entre autres La non demande en mariage, J’ai rendez-vous avec vous, Je me suis fait tout petit, Rien à jeter, Saturne. 
Derrière sa pipe et sa moustache malicieuse, Brassens symbolise l’ami que l’on aimerait avoir. Il symbolise aussi l’homme timide mais frondeur libertaire, antimilitariste, athée, qui méprise la gloire et l’argent et qui dit ce qu’il pense « en face.». Je prends les idées qui sont à tout le monde et je les traduis selon ma propre nature.
Brassens se lève à cinq heures du matin, se couche tôt, et aime composer au clavier. Durant toute sa carrière il souffre de calculs rénaux accompagnés de crises de coliques néphrétiques qui l’obligent parfois à quitter la scène et qu’il soulage en respirant de l’éther. Il subit plusieurs opérations des reins avant de mourir d’un cancer de l’intestin généralisé. Pupchen est enterrée avec lui dans le caveau familial à Sète.

samedi 30 avril 2016

Avec le temps


Le 7 avril 1968 au château de Perdrigal dans le Lot, Madeleine, compagne de Ferré depuis ses débuts, est furieusement jalouse de Marie-Christine, sa nouvelle rencontre.
Pépée, une chimpanzé qu’adore Léo est devenue dangereuse et se blesse. Madeleine la fait abattre par un voisin chasseur ainsi que tous leurs animaux. Deux ans plus tard, Léo Ferré, encore profondément blessé, écrit leur rupture avec ces paroles. 

Pas besoin de connaître les faits exacts pour être saisi par le texte, un des plus forts du répertoire français. Il dégage une puissance qui dépasse l’histoire d’amour, proche d’une désespérance métaphysique universelle. Dur, désespéré, il véhicule une forte émotion, une immense déception. Les mots sentent la sincérité, la confession. Devant quoi l’on s’ traînait comme traînent les chiens. (Brel aussi utilise dix ans plus tôt l’image du chien dans Ne me quitte pas : Laisse-moi devenir… l’ombre de ton chien).
Nous ne sommes pas ici dans la délectation du mot, la sensualité, dans les images étourdissantes - et parfois obscures - que Ferré débride dans ses grands récitatifs. La force de conviction, elle, est bien là, avec des mots de tous les jours : tout seul peut-être mais peinard, des personnifications : un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit, l’utilisation du on collectif qui invite chacun a l’identification. 
 
Léo Ferré est un poète qui chante. Il déroule ici des alexandrins aux coupes classiques : (6 +6) Le coeur quand ça bat plus, c’est pas la peine d’aller. (4 + 4 +4) Chercher plus loin, faut laisser faire et c’est très bien. Les rimes sont précises, sauf deux vers assonancés du premier couplet : aller / bien
Le titre est martelé 15 fois, présent dans chaque dernier vers des strophes et doublé au début de chaque section. la structure est classique, elle aussi. Marque d'une époque, la mélodie du couplet monte sur le « refrain pont ».
Avec le temps est devenue culte… avec le temps, sans être jamais rentré au hit parade. Reprise
partout dans le monde, elle avait pourtant été refusée en 1970 par la maison Barclay sur l’album Amour Anarchie.
La chanson terminait chacun des concerts de Léo Ferré qui exigeait du public de le laisser sortir de scène en silence, sans applaudissement ni rappel, après le terrible dernier vers : Avec le temps, on n’aime plus.

Avec le temps
Octobre 1970 Léo Ferré (Nouvelles éditions Meridian/ La mémoire et la mer)

Avec le temps... / Avec le temps, va, tout s’en va / On oublie le visage et l’on oublie la voix / Le coeur, quand ça bat plus, c’est pas la peine d’aller / Chercher plus loin, faut laisser faire et c’est très bien.
Avec le temps... / Avec le temps, va, tout s’en va / L’autre qu’on adorait, qu’on cherchait sous la pluie / L’autre qu’on devinait au détour d’un regard / Entre les mots, entre les lignes et sous le fard
D’un serment maquillé qui s’en va faire sa nuit / Avec le temps tout s’évanouit.

Avec le temps... / Avec le temps, va, tout s’en va / Même les plus chouettes souvenirs ça t’a une de ces gueules / A la galerie j’ farfouille dans les rayons d’ la mort / Le samedi soir quand la tendresse s’en va toute seule
Avec le temps... / Avec le temps, va, tout s’en va / L’autre à qui l’on croyait pour un rhume, pour un rien / L’autre à qui l’on donnait du vent et des bijoux / Pour qui l’on eût vendu son âme pour quelques sous : Devant quoi l’on s’traînait comme traînent les chiens / Avec le temps, va, tout va bien.

Avec le temps... / Avec le temps, va, tout s’en va / On oublie les passions et l’on oublie les voix / Qui vous disaient tout bas les mots des pauvres gens : Ne rentre pas trop tard, surtout ne prends pas froid
Avec le temps... / Avec le temps, va, tout s’en va / Et l’on se sent blanchi comme un cheval fourbu / Et l’on se sent glacé dans un lit de hasard / Et l’on se sent tout seul peut-être mais peinard / Et l’on se sent floué par les années perdues / Alors vraiment... avec le temps... on n’aime plus

Léo Ferré (Monaco 24 août 1916 / Castellina in Chianti 14 juillet 1993)
Fils du directeur du personnel du Casino de Monte-Carlo et d’une couturière d’origine italienne, Léo Ferré enfant, est membre de la chorale de Monte-Carlo et assiste aux répétitions de l’opéra. Son père refuse qu’il s’inscrive au Conservatoire de musique. Il apprendra le piano en autodidacte. Il quitte son Monaco natal pour des études de droit à la capitale dont il ressort diplômé en sciences politiques.
Pendant la guerre Ferré dirige un groupe de tirailleurs algériens, après sa démobilisation, il se consacre à la composition. Fin 1947 il produit et anime sur Paris Inter des émissions sur la musique classique. À Montpellier, il parle avec Charles Trenet qui l’encourage à continuer à écrire ses chansons, mais... pas à les interpréter.
Rencontrée en 1950 Madeleine Rabereau devient sa compagne puis son épouse en 1952. C’est elle qui lui conseille de signer chez Le Chant du Monde, puis chez Odéon. Ferré sortira plus d’une quarantaine d’albums originaux, près d’un album par an.
Il connaît le succès populaire en 1969 avec C’est extra. La jeunesse se reconnaît dans la révolte contenue dans ses albums, arrangés par Jean-Michel Defaye jusqu’en 1970. Ferré enregistre à New York Le Chien avec John McLaughlin, Billy Cobham et Miroslav Vitous, mais n’utilise pas cette version, (très recherchée) mais celle du groupe Zoo.
Tout au long d’une carrière libre et engagée, l’homme tisse une oeuvre monumentale où il laisse libre cours à une imagination hors du commun, au souffle continu. Tendre ou violent, ironique, érotique, anarchiste, il dénonce, émeut, parfois désoriente lors de monologues incantatoires hors des
structures traditionnelles. Il reprend les grands poètes sur fonds d’orchestre symphonique qu’il aime diriger lui-même, sourd aux foudres de soi-disant « puristes », et publie plusieurs recueils de
poésie dont Poètes vos papiers. Ferré est le premier chanteur à qui Pierre Seghers consacre un volume de sa collection « Poètes d’aujourd’hui ».
Parti vivre en Italie, il refuse le Grand Prix de la chanson française ou d’être fait Commandeur des Arts et Lettres. Le seul honneur pour un artiste, c’est de n’en pas avoir.
En 1990 Les vieux copains semble être le testament de l’homme qui pensait que «L’histoire de l’humanité est une statistique de la contrainte» et chaque année a chanté à la Mutualité pour la
Fédération anarchiste. Il décède un 14 juillet (!!) des suites d’un cancer après 46 ans d’activité. Son nom n’apparaît pas sur sa tombe à Monaco.

vendredi 29 avril 2016

Neuf grandes chansons




Avec le temps, Comme d’habitude, La bohème, La javanaise, La mer, La vie en rose, Les copains d’abord, Les feuilles mortes, Ne me quitte pas, sont de grandes chansons.
Pourquoi choisir comme exemplaire La Mer et pas Que reste t-il de nos amours ? Cette dernière fait partie de mes chansons préférées et elle est également un joyau incontesté de notre patrimoine. Pourquoi Les copains d’abord plutôt que tel autre joyau de Brassens ? Oui, pourquoi ? Il fallait bien décider, trancher, conscient que les goûts, les couleurs se discutent, que faisons nous d’autre ?

Les points communs ?
Ces grandes chansons sont toutes nées à peu près à la même époque, fin de l’horreur de la seconde guerre mondiale pour La vie en rose , La mer , Les feuilles mortes ; années soixante d’où montent contestations et revendications pour Ne me quitte pas 1959, La javanaise 1962, Les copains d’abord 1964, La bohème 1966, Comme d’habitude 1968, Avec le temps octobre 1970.

Les neuf chansons sont écrites par de fortes personnalités, généralement les interprètes eux-même, qui parlent avec sincérité, sous un angle de vue original, d’événements authentiques, de leurs amours. Ils ne disent pas tout sur eux, mais l’essentiel.

Autres points communs. Le ton du langage parlé, naturel, un style clair, concis, accessible, à la première personne « je » (sauf Avec le temps ), des détails qui attirent l’attention, séduisent, émeuvent, un équilibre entre surprenant et prévisible, fraîcheur et savoir faire, coeur et intelligence. Ils suggèrent plus qu’ils décrivent. 

Techniquement, la qualité est incontestable. La forme reste respectueuse des conventions et elle est au service du sens. La rime est utilisée, à l’exception de Comme d’habitude.
Le titre est accrocheur, facile à retenir.
Le refrain n’est pas pensé comme ceux que l’on entend de nos jours. A l’époque, il était fréquent de poursuivre la mélodie du couplet sur le refrain, dans une envolée très efficace dans ce que j'appelle un refrain pont.

Les grandes chansons ont de grandes mélodies et telle est sans doute une cause fondamentale de leur succès. Même quand elles sont reprises en anglais ou une autre langue, avec un texte et un sujet différents, elles séduisent un nouveau public et de nouveaux interprètes.

La preuve par neuf
Pour vérifier ces points communs, je proposerai chaque jour un post sur une grande chanson française : Un jour, une grande.
Demain « Avec le temps », Léo Ferré.